Paris, le 17 octobre 2014
Mesdames et Messieurs les Parlementaires
700 millions d’€ d’économies sont demandés cette année à la branche familles au nom de la rigueur budgétaire. Car le contexte de ce budget de la Sécurité sociale est connu, il reste d’ailleurs le même, années après années : crise et déficit.
Mais c’est avec d’autres chiffres que Familles de France souhaite vous interpeller. Car la branche famille, c’est aussi près de 7 millions de familles bénéficiaires des prestations familiales, dont plus de 13 millions d’enfants, et environ 800 000 nouvelles naissances par an.
Toutes ces familles ont, elles aussi, subies la crise et la rigueur : fortement mises à contribution ces dernières années (réformes fiscales, réformes des prestations familiales), nombre d’entre elles ont vu leur situation financière se précariser. Et alors que ce projet de loi, pour rétablir l’équilibre des comptes de la branche, va imposer des économies supplémentaires aux familles, Familles de France vous demande, simplement, de leur redonner du pouvoir d’achat.
Un ensemble de mesures, annoncées fin septembre, ont déjà beaucoup fait parler : modulation de la prime de naissance en fonction du rang de l’enfant, réforme de congé parental, ajout d’une nouvelle tranche de revenus au complément mode de garde, décalage du versement de l’allocation de base, modulation des allocations familiales en fonction des ressources, décalage du versement de la majoration pour âge.
Une seule de ces propositions pourrait apparaitre dans le projet de loi : la mesure concernant la prime de naissance. L’ensemble des réformes discutées dernièrement pourraient se faire par la simple voie réglementaire. C’est une déception pour nous, et une méthode que Familles de France conteste : compte tenu de leur impact sur le budget des familles (en particulier sur les jeunes familles puisque la majorité de ces mesures concernent la prestation d’accueil du jeune enfant) un débat, une évaluation, un vote, sont nécessaires. La politique familiale mérite ce débat, et les familles méritent d’être entendues.
Familles de France revendique à nouveau son attachement aux principes de la politique familiale (son universalité, ses objectifs de compensation des charges d’enfant) et à la diversité de ses prestations, cette architecture-même qui permet d’intervenir auprès de toutes les situations familiales.
Pour illustration, citons une enquête Unaf/Réseau de l’observatoire des familles sur le « désir d’enfant » datant de 2013. 68% des familles y déclarent ne pas avoir le nombre d’enfants souhaités : les principales raisons citées sont l’exigüité du logement (28%), le coût d’éducation d’un enfant (28%) et les difficultés de conciliation de la vie familiale et professionnelle (22%). Les contraintes matérielles sont donc majoritairement à l’origine des difficultés des ménages à accueillir un enfant. Mais les trois raisons citées sont aussi précisément les domaines d’intervention traditionnels de la branche famille. Preuve donc s’il en est, de la justesse de notre politique familiale.
Défendons la politique familiale et rappelons-nous, alors que chaque réforme petit à petit la démonte, combien elle a déjà démontré son efficacité.
Patrick CHRETIEN,
Président de Familles de France
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La modulation de la prime de naissance
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La réforme du congé parental : prestation partagée d’éducation de l’enfant (ou partage du complément du libre choix d’activité),
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La réforme du complément de libre choix du mode de garde,
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Le report du versement de l’allocation de base,
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La réforme des allocations familiales
Modulation de la prime de naissance
La prime de naissance est une prestation versée sous condition de ressources durant la grossesse pour faire face aux dépenses liées à l’accueil de l’enfant. Son montant est aujourd’hui de 923,08€ (1 846,15€ en cas d’adoption).
La mesure proposée consiste à maintenir la prime en l’état pour les enfants de rang 1, mais de diviser par trois son montant pour les enfants de rang 2 ou plus.
Parmi les bénéficiaires de la prime de naissance, 60% attendent une deuxième naissance (ou plus), et sont donc concernées par cette modulation.
Familles de France connaît bien le budget des familles. Nous constatons évidement qu’un premier équipement acheté va régulièrement servir au reste de la fratrie, mais nous nous interrogeons tout de même sur la modulation choisie : l’écart entre les montants de l’allocation proposés entre le premier enfant et les suivants (qui baisse la prime des deux tiers) nous semble bien trop important.
Le nouveau montant qui serait attribué à partir du deuxième enfant ne prend pas en compte la réalité économique des familles ou la diversité des configurations familiales :
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Il n’est fait aucune distinction sur le rang de l’enfant (2,3, ou suivant). Or, quand certains équipements peuvent effectivement être réutilisés pour le deuxième, il en est moins le cas pour le troisième. Le temps entre les naissances, l’usure, l’obsolescence, peuvent rendre difficile l’utilisation à nouveau des mêmes matériels de puériculture pour les enfants de rang 3 ou 4.
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La proposition néglige également de noter qu’à la 3ème naissance et la constitution d’une famille nombreuse, il n’est pas rare que le foyer ait à faire face à d’autres lourdes dépenses (achat d’un véhicule adapté, changement de logement par nécessite d’une chambre supplémentaire…).
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Et quid des naissances multiples en rang 2 ? Le matériel réutilisable pour un enfant ne peut pas toujours l’être pour 2 (lit, poussette…) : dans 43% des cas, les jumeaux sont des naissances de rang 2 ou plus (28% pour les triplés).
En plus des dispositions initialement proposées à l’article 61, Familles de France constate que trois autres mesures concerneraient la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), et rappelle que deux réformes de cette même prestation (la modulation de l’allocation de base et la suppression du
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complément du libre choix d’activité (CLCA) majoré) sont entrées en vigueur cette année. C’est beaucoup.
La Paje, qui avait l’ambition de solvabiliser les parents à l’accueil du nouveau né (équipement, allocation mensuelle dès le premier enfant, mode de garde, congé parental), donne aujourd’hui entière satisfaction aux quelques 2 millions de familles qui en bénéficient.
Si chacune de ces mesures agit « à la marge » (l’une sur les conditions de ressources, l’autre sur les montants pour les revenus supérieurs), Familles de France s’inquiète de voir leurs effets cumulés détruire tout le système d’accueil du jeune enfant. Or rappelons le, la naissance est un moment où la famille a particulièrement besoin d’être protégée et où son budget est assez vulnérable : cela est donc, et doit rester, une priorité de la branche famille.
Réforme du CLCA :
Concernant la réforme du CLCA, Familles de France s’est exprimé il y a un an lors du débat parlementaire sur la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Vous pouvez d’ailleurs relire nos propositions, que nous avons reprises et annexées à cette lettre.
A ce titre nous exprimons notre étonnement à l’annonce de cette nouvelle réforme, puisque la première – qui proposait un partage à hauteur de 6 mois – a tout juste été votée cet été. Alors qu’aujourd’hui elle n’est pas encore effective, on nous propose de la modifier pour porter ce partage à égalité entre les parents (18 mois chacun). Peut-on concrètement espérer inciter les familles à s’engager dans cette réforme quand on leur annonce une modification de leurs droits tous les trimestres ?
Familles de France rappelle ici simplement :
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Notre accord sur les objectifs. Nous sommes en effet favorables au développement du partage du congé parental entre les parents, et souhaitons encourager les pères à y avoir recours plus souvent.
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Notre revendication pour le libre choix des parents. Nous ne pensons pas en effet qu’un tel partage puisse être imposé : les vies familiales, les parcours professionnels, sont extrêmement divers, et on ne peut les limiter à un modèle-type comme on ne peut imposer une forme de partage. Celui-ci doit donc rester une option au choix des parents.
Notre inquiétude quant aux conséquences de la réforme. Les femmes qui sont le plus enclines à prendre un congé parental long, et donc à se mettre en retrait professionnel, sont celles qui ont des emplois précaires et faiblement rémunérés, qui sont le moins diplômées. C’est donc leur situation professionnelle préalable qui les met à risque, et non leur situation familiale. En aucun cas le partage ne règlera pour elles le problème, puisqu’au contraire elles seront précarisées par la perte de quelques mois de prestation. On sait aussi que le montant de l’allocation est certainement un incitatif plus important pour les pères, qui sont eux plus portés à prendre des congés parentaux courts et/ou à temps partiel :
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les inégalités sur le marché du travail subsistant, ce sont les pères qui ont le plus souvent les plus hauts revenus du ménage et qui se maintiennent donc en activité pour maintenir le niveau de vie du foyer.
Réforme du complément de libre choix du mode de garde (Cmg) :
La proposition consiste à ajouter une quatrième tranche de revenus aux trois tranches actuelles du Cmg, à laquelle correspondrait un nouveau montant de prestation (divisé par deux par rapport à la troisième tranche).
Actuellement plus de 830 000 familles bénéficient du complément du mode de garde, et 16,5% d’entre elles se situent dans le haut du barème (niveau 3 des conditions de ressources) : ce sont partie de ces 16,5% qui seraient touchées par la réforme, sûrement moins de 100 000 familles on imagine donc.
La Paje a été un instrument de solvabilisation des familles pour l’accession à un mode de garde.
Le recours à un mode de garde individuel n’est pas toujours un choix : l’absence d’équipements collectifs impose souvent aux parents de se tourner vers une autre solution. C’est là où le complément mode de garde intervient puisqu’il concerne précisément les modes de gardes individuels (assistant(e) maternel(le) ou garde à domicile) qui, s’ils sont les plus onéreux pour les familles, sont aussi les plus usités (les assistant(e)s maternel(le)s étant le premier mode de garde payant en France, près du tiers des familles y recourent).
Le Cmg étant déjà versé en fonction des ressources, le rajout d’un plafond supplémentaire ne remet pas en cause par lui-même la prestation. Mais Familles de France reste attentif à ce que les avancées apportées par la Paje, en particulier la solvabilisation de la garde d’enfant(s), ne soient pas, elles, remises en cause.
Report du versement de l’allocation de base
Autre mesure proposée, qui celle-là s’aligne sur de nombreuses prestations : l’ouverture des droits à l’allocation de base de la Paje le mois suivant la naissance (formule autrement connue comme le « m+1 »).
Le dispositif s’appliquant à d’autres prestations familiales, il ne nous surprend pas. Néanmoins pour les familles qui accueilleront dans le futur un enfant, rappelons qu’il s’ajoutera possiblement à la minoration de la prime de naissance, soit une perte de plus de 700€ l’année de la naissance.
Réforme des allocations familiales
La majoration pour âge des allocations familiales a elle aussi été évoquée : actuellement fixée à 14 ans, elle pourrait être repoussée à 16 ans.
Rappelons que les allocations familiales sont versées à toutes les familles de deux enfants ou plus. Les majorations pour âge, elles, ont un impact limité, conséquence notable des dispositions réglementaires :
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l’aîné des familles de deux enfants n’ouvre pas droit à majoration,
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les majorations à 11 et 16 ans ont été supprimées pour appliquer une majoration unique à 14 ans.
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Ainsi 11 700 000 enfants sont bénéficiaires des allocations familiales (presque la totalité donc des enfants percevant une prestation), mais seulement 15% d’entre eux bénéficient des majorations pour âge.
Le décalage de deux ans ne fera qu’exclure des majorations plus de bénéficiaires, un résultat assez éloigné donc de l’objectif réel de cette disposition, qui est de compenser les charges d’enfant à l’adolescence.
Familles de France refuse toute remise en cause de l’universalité des allocations familiales. Leur modulation en fonction des ressources des familles n’est pas une solution : ni pour faire faire des économies à la branche, ni pour éviter la modulation de la prime de naissance.
Familles de France souhaite rappeler toute l’utilité et toute la place que tiennent les allocations universelles dans notre système de protection sociale : elles ont fait la preuve de leur capacité à maintenir le niveau de vie des familles et à lutter contre la pauvreté des enfants. Nous rappellerons a ce titre les conclusions de la Cour des comptes qui, dans son rapport de septembre 2012, constatait que « le rôle des prestations familiales sous condition de ressources stricto sensu est en matière de réduction des inégalités inférieur à celui joué par les prestations familiales sans condition de ressources ». Ainsi dans le Programme qualité efficience (PQE Famille - loi de financement de la sécurité sociale pour 2014) l’indicateur niveau de vie des ménages estimait que les allocations familiales relevaient le niveau de vie d’une famille (couples avec deux enfants) de +8,8%, quand l’impact du RSA activité, des allocations logement et des minima sociaux n’est lui que de 0,4%. Dans le même PQE l’impact des prestations familiales sur le taux de pauvreté des enfants est estimé à 24%.
Familles de France n’est pas prêt donc à négocier une remise en cause des allocations familiales.
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Sur l’équilibre général des comptes de la branche famille
Familles de France continue à être attentif aux solutions de financement offertes à la branche famille. L’équilibre des comptes n’est pas en effet que question d’économies, il est aussi question des recettes.
Le gouvernement a décidé de baisser les recettes de la branche en réduisant les cotisations sociales employeur qui l’alimentent. La branche famille par ailleurs assume depuis des années des transferts pour rétablir l’équilibre financier d’autres branches déficitaires. A ce jour sont affectées à la branche famille des recettes fiscales issues des hausses d’impôts directement payées par les familles (fiscalisation de la majoration de pension et baisse du plafond du quotient familial). Outre le fait que Familles de France ait peu confiance dans ce type de financement, peu pérenne d’une année sur l’autre, nous nous inquiétons de voir financer la branche famille… par l’impôt des familles. La branche famille, la Sécurité sociale et tout notre système de protection sociale, relève de la solidarité nationale : il est clairement plus de la responsabilité de l’État que de celle des familles de rétablir à l’équilibre de comptes qu’il a lui-même largement déstructuré.
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Annexe
« Loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes » - Propositions Familles de France.
(Participation à la table-ronde de la commission des affaires sociales du Sénat le 9 juillet 2013 ; audition par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2013)
Le dispositif de congé parental en France est attractif :
Un homme sur neuf et une femme sur deux a modifié son temps de travail pour s’occuper de ses enfants, soit un tiers des parents. La France maintient ainsi un taux d’activité féminin tout à fait élevé, et des interventions de la politique familiale particulièrement diversifiées (services d’accueil, prestations, droit du travail, dispositifs fiscaux…).
60% des parents qui ont recours à un congé parental disent le faire par choix. Les 40% restant revendiquent comme principales causes :
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les conditions de travail, trop contraignantes,
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l’absence de solutions de garde.
Dans l’ensemble les parents jugent le dispositif avec une grande satisfaction, notamment par la diversité de choix qu’il propose : temps plein, temps partiel, durée modulable jusqu’aux 3 ans de l’enfant, cumul avec un mode de garde… Si autant de parents font usage de leur droit d’interruption d’activité, c’est que le congé parental tel qu’il est constitué aujourd’hui est adapté aux familles (les parents ont besoin de ce temps de retrait professionnel, qu’ils intègrent à leur parcours de vie) et au rythme de l’enfant (jusqu’à l’entrée en école maternelle).
On peut donc juger cette prestation comme efficace. On doit s’interroger sur le fait que la plupart de ses bénéficiaires sont des femmes, mais il ne faut pas faire l’erreur d’accuser le congé parental de ces dysfonctionnements. En effet les stratégies de choix des parents - qui conduisent à un recours féminin au congé parental - sont essentiellement le fait d’inégalités construites bien en amont. Il est hypocrite d’accuser la politique familiale de travers qui sont ceux du monde du travail : inégalité salariale, inégalité de carrière, plus de temps partiel subi et précaire chez les femmes…
Des inégalités hommes-femmes dans le monde du travail et dans la vie familiale :
Les écarts de revenus au sein du couple constituent un des déterminants du recours au congé parental : plus ils sont forts, et plus les arbitrages financiers se font en faveur du CLCA (pour celui qui a le plus bas revenu) plutôt que de l’activité professionnelle (que les bons revenus de l’autre permettent de compenser). C’est le cas pour les femmes, mais l’on peut aussi noter que 60% des hommes qui ont recours à la prestation ont un revenu inférieur à leur conjointe.
Au-delà, les rôles parentaux restent néanmoins encore parfois trop marqués par des représentations sociales qui porteraient « naturellement » les femmes vers ce type de congés : 46% des pères disent que le congé parental ne les intéresse pas « a priori ».
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Si les pères citent plus souvent les effets sur leur carrière, leur travail (donc les réticences et les tensions qu’ils perçoivent avec leur employeur) comme le frein principal à leur recours au congé parental, les femmes, elles, citent en priorité la rémunération.
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Sur les 18 000 pères qui bénéficient du CLCA (3,5% de l’ensemble des allocataires), quasiment les trois quarts d’entre eux recourent à la prestation à taux partiel (pas de cessation complète de leur activité professionnelle), et perçoivent généralement ce complément moins longtemps que leurs homologues féminins.
On constate quand même que les « nouveaux pères » sont heureux de consacrer du temps aux responsabilités familiales : d’avantage de pères ont recours au CLCA de rang 1 (pour un premier enfant - prestation limitée à 6 mois), en l’occurrence une proportion est assez proche de celle des mères (5,5% des pères, contre 6,8% des mères). Mais plus le nombre d’enfants est grand, et plus les écarts se creusent. Par ailleurs plus de temps passé auprès des enfants ne signifie pas plus de temps consacré aux autres tâches domestiques : bien au contraire dès le premier enfant les femmes sont encore plus sollicitées aux tâches ménagères.
Le partage du congé parental :
Familles de France n’est pas opposé à la possibilité d’un partage du congé parental pour le couple : Familles de France est opposé à ce que l’on impose ce partage aux parents ! En d’autres termes, tout en étant favorable à ce que six mois puissent être transférés au père (ou la mère dans le cas où le père a pris le congé), nous trouvons injuste de le supprimer à défaut.
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Concernant les six mois additionnels qui seraient proposés à l’autre parent pour le CLCA de rang 1 : il s’agit là d’un gain net pour les familles, et d’une avancée tout à fait positive.
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Comme évoqué plus haut, un des facteurs de réussite du congé parental réside dans la variété des choix qu’il propose, et qui permet de répondre à la diversité des situations familiales. La proposition qui consiste à imposer un partage nie d’abord aux parents la possibilité de choisir le mode d’éducation de leur enfant. Mais en plus ne fera qu’écarter les familles qui ne se trouvent pas en capacité de mieux partager leur temps, en réduisant leurs droits. Tout le monde est-il en situation de négocier avec son employeur un congé parental ? On peut s’en inquiéter, surtout pour ces familles dont l’emploi est le plus précaire ou les conditions de travail les plus contraignantes, soit les familles les plus surreprésentées parmi les bénéficiaires du congé parental.
Quel risque ? Celui de voir des familles précarisées : si le père ne prend pas les six mois qui lui sont attribués et que la famille n’a pas de mode de garde, c’est la mère qui reste avec l’enfant les six derniers mois, et sans compensation. C’est un cas de figure que l’on peut imaginer assez courant puisque la durée légale (en droit du travail) du congé parental n’est pas modifiée. La mesure concerne les familles de deux enfants et plus : or plus la famille est nombreuse et plus les mères sont sollicitées (pour les activités parentales, mais aussi pour les taches domestiques). Faire sauter les six derniers mois va fragiliser la situation des femmes, non pas l’améliorer. Dans tous les cas, c’est l’obligation, très forte et urgente, de trouver des solutions de garde pour les familles. Le gouvernement promet la création de places de crèches : c’est effectivement nécessaire.
Si le but de la mesure est l’égalité : en ne réglant aucune des inégalités en amont, en ne proposant pas aux familles des solutions pratiques (mode de garde, information sur les droits, aide aux démarches avec l’employeur, sensibilisation des employeurs…), la proposition est insuffisante. Si le but est un meilleur partage des temps parentaux : en refusant aux familles le libre choix, la proposition est inefficace (il y a une diversité de familles, et donc pas de solution unique).
D’autres pistes prioritaires à étudier :
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Les conséquences de la cessation d’activité sur les carrières des femmes n’est pas tant le non emploi (les sorties de CLCA résultent dans des retours en emploi) que la pénalisation sur l’évolution salariale ou la trajectoire professionnelle. Familles de France souhaite donc – au-delà de la question de la durée du congé parental – que l’on s’attache à la problématique de la qualification, la formation, pendant cette période. Par exemple par :
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la réorganisation des contacts avec l’employeur pendant la durée du congé. A chaque demande et à chaque renouvellement du congé le salarié doit pouvoir bénéficier d’un entretien personnel avec sa direction, et il doit être prévu un rendez-vous obligatoire six mois avant son retour en activité. Cela permettrait par exemple de proposer le DIF, la VAE, et d’organiser toutes les possibilités de conciliation des temps comme l’aménagement des horaires de travail, le temps partiel, le télétravail…
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la revalorisation de l’aide à la garde d'enfants pour parent isolé (AGEPI) dont le montant est limité annuellement et, au-delà des familles monoparentales, une attention spécifique à l’aide à la garde d’enfant pour les femmes les plus éloignées du marché du travail, dont les démarches de retour en emploi peuvent prendre du temps
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Une réforme du Colca :
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2 382 bénéficiaires en 2011 (contre plus de 520 000 pour le CLCA)
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un complément attractif financièrement (prestation plus élevée que celle du CLCA)
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des conditions par contre beaucoup plus strictes : familles de trois enfants ou plus uniquement, cessation complète de l’activité professionnelle.
L’incitation financière est un facteur parmi d’autres dans le choix des familles : en l’occurrence pour le Colca le montant n’est pas le facteur déterminant. Sûrement parce qu’en ciblant la prestation sur les familles de trois enfants les pouvoirs publics ont négligé les contraintes organisationnelles des familles, et le coût de garde de trois enfants (les exactes questions qui sont actuellement négligées sur la proposition de réduire de six mois le CLCA).
Dans les enquêtes de la Cnaf auprès des parents, les familles de deux enfants, elles, se disent assez favorables à l’option Colca : elles y sont plus attirées en fait que ne le sont les familles de trois enfants. Familles de France souhaiterait donc que soit expérimentée l’ouverture des droits au Colca. A pour les familles de deux enfants. D’autant plus que le Colca permet le partage entre les deux parents, et que donc sur une période courte cela permettrait d’expérimenter plus largement le partage.
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Les modes de garde sont un outil pour accompagner les familles, mais pas le seul :
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financer les modes de garde, pour proposer des solutions concrètes aux parents,
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mais financer également le soutien à la parentalité : des espaces d’informations, de formation, d’échange pour les parents… et pourquoi pas en entreprise ? Beaucoup d’actions de soutien à la parentalité visent également les jeunes pères, pour créer du lien et fonder la relation parent-enfant dès le plus jeune âge : comme le congé parental, elles sont tout aussi importantes pour le développement futur de l’enfant et pour assurer la continuité des relations familiales, quels que soient les accidents de la vie.
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