Familles de France a demandé un éclairage à Cédric Villani.
FF : Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontés les enfants dans cet apprentissage ?
CV : La démarche scientifique demande de la patience et de la concentration, de la persévérance : on apprend à s’accommoder d’expériences qui échouent, jusqu’à ce qu’on y arrive. On doit surmonter des paradoxes, ce qui n’est pas très intuitif pour des enfants.
Mais il est très important aujourd’hui que les jeunes puissent être en contact avec ces disciplines scientifiques qui demandent de la concentration, car la jeune génération doit réapprendre à se focaliser, à être patient, tout ce qui se perd un peu devant les écrans.
Que pensez-vous du niveau scolaire des élèves français par rapport aux autres pays dans les matières scientifiques ?
Il est très bas malheureusement. Parmi les facteurs d’explications, il y a la question de l’organisation des cours et le problème de la discipline : il y a un réel problème de concentration dans beaucoup de classes. Il y a aussi la question du malaise enseignant. En effet, la réussite scolaire passe par le bon statut des enseignants, c’est-à-dire de la reconnaissance sociale, notamment par rapport au salaire. Il faut savoir que les enseignants français sont payés en dessous de la moyenne selon l’OCDE. Le niveau bas des élèves en sciences l’est aussi en raison du manque d’implication de beaucoup de familles dans l’éducation aux sciences. En France, on entend souvent que « c’est à l’État de faire ça ». Ça serait à l’école de faire tout le travail d’apprentissage des sciences dans les mentalités, ce qui créé un désengagement des familles sur le sujet. C’est aussi pour éviter les conflits entre parents d’élèves et enseignants. Il y a un vrai sujet sur les relations parents professeurs, il faudrait remettre du dialogue. Je préconise en tout cas l’implication des familles dans l’éducatif, notamment en ce qui concerne les sciences.
Que préconisez-vous pour améliorer le niveau scolaire en sciences ?
Je préconise une meilleure formation des enseignants, incluant davantage d’heures de sciences dans la formation initiale mais aussi en formation continue, sachant que beaucoup d’entre eux sont issus de filières littéraires, ils sont donc souvent moins à l’aise avec les matières scientifiques, qui restent teintées d’anxiété.
Il faudrait aussi mettre en place une meilleure organisation des équipes pédagogiques, et le développement de démarches des pédagogies scientifiques explicites, qui sont des incontournables.
Il faut une dose de démarches expérimentales, c’est-à-dire : laisser les élèves découvrir par eux même mais avec un guide.
Pourquoi y a-t-il moins de femmes dans les filières scientifiques ?
C’est en partie une question de représentations sociales, qui restent fortes et qui sont même en train de grimper. Il n’y a pas assez de modèles de femmes scientifiques visibles, connues du grand public.
Quelles solutions pourraient être mises en place pour que les filles soient aussi nombreuses que les garçons dans les filières scientifiques ?
Je pense qu’il faudrait mettre en place des tutorats et des encouragements spécifiques pour les filles. Il faut renverser les archétypes sociaux qui sont encore très forts : les conseillers d’orientation proposent aux garçons de faire médecine et aux filles de devenir infirmières ; les enseignants donnent plus la parole aux garçons qu’aux filles. Il faudrait sensibiliser les enseignants et le personnel éducatif sur le sujet.
Selon vous, quel est l’intérêt majeur de se familiariser avec les sciences pour les enfants ?
Pour moi, l’intérêt principal est d’établir une relation de confiance avec la démarche scientifique et les personnes qui l’incarnent. Cela contribue au développement personnel, car au départ il y a plus une poursuite de la curiosité qu’une poursuite utilitaire.
Que pensez-vous du projet des mini-clubs sciences mis en place par Familles de France ? Quels conseils pourriez-vous nous donner sur ce projet ?
C’est un projet qui a du sens, je suis impressionné par le travail réalisé sur le contenu des fiches d’activités qui sont proposées dans les mini-clubs sciences de Familles de France. L’élan compte plus que le résultat même, s’il y a des fautes ce n’est pas grave, l’important est d’y prendre du plaisir. La relation de confiance avec l’animateur est primordiale : il vaut mieux un animateur motivé et chaleureux même s’il n’est pas hyper solide scientifiquement, car les enfants retiendront une expérience agréable autour des sciences davantage que le contenu de ce qu’ils ont appris de toutes façons.
Les sciences ne sont pas suffisantes s’il manque la confiance, qui s’acquiert par la relation humaine. C'est pourquoi un enfant qui participe à un club de sciences aura une image positive de cette discipline et cela lui servira toute sa vie.
La complémentarité entre l’éducation familiale et l’instruction scolaire, les temps de mise en applications pratiques des apports théoriques, l’ancrage du milieu scolaire dans la réalité du monde extérieur et l’humain au cœur de l’apprentissage, toutes ces idées sont portées par Familles de France.
Cédric Vilanni : Un des rédacteurs du rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques » commandé par le ministre Jean-Michel Blanquer en 2018.