Quelques pistes pour prémunir nos adolescents de l’intoxication cannabique.
Dans un précédent exposé nous avons justifié pourquoi les parents devaient prémunir leurs enfants de l’intoxication cannabique, en énumérant les principaux risques que comporte l’addiction à cette drogue, pas douce du tout ! Dans ce second article nous allons exprimer différentes recommandations au service de cette prévention.
- « Prévenir pour prévenir »
Ce raccourci exprime qu’il est important d’informer les adolescents sur les méfaits nombreux et parfois graves de cette drogue, afin de les dissuader de s’en approcher.
Il faut d’abord comprendre que le cannabis peut frapper au sein même de sa sphère familiale et que rien ne la préserve automatiquement, parce que cette drogue est extraordinairement diffusée. Elle est, en France, proposée en de nombreux lieux, par plus de cent mille dealers. Le risque de croiser leur chemin est donc énorme.
Pour informer utilement les siens il faut être informé soi même, afin d’être bien armé pour combattre leurs dénégations, construites par une désinformation, à l’œuvre depuis longtemps et qui s’intensifie. Le dernier de ses florilèges vient de le présenter comme un médicament. Plusieurs livres, cités à la fin de ce texte, pourront opportunément contribuer à la culture dont il faut se doter pour aborder ces débats et dispenser des informations pertinentes et de surcroit convaincantes.
Des conférences, organisées par les associations de parents d’élèves, auraient l’avantage de diffuser une même culture, homogène, cohérente, qui pourrait être restituée d’une façon univoque aux adolescents. Il est en effet contre productif de faire s’entrechoquer des opinions différentes sur ce sujet. Il ne doit pas être une auberge espagnole dans laquelle chacun trouverait que ce qui l’intéresse. Les conférences destinées à un public de parents devraient être distinctes de celles destinées aux adolescents ; elles ne font pas appel à la même pédagogie ; ce n’est pas sur les mêmes points qu’il convient d’insister.
- « Où il y a une volonté, il y a un chemin ».
La Suède détient en Europe le record de la plus faible proportion de toxicomanes, soit dix fois moins (en proportion bien sûr) que la moyenne européenne. «Où il y a une volonté il y a un chemin », alors que là où prévalent l’ignorance, l’indifférence et, pire, la complaisance on atteint aux chiffres exceptionnellement élevés du cannabis en France (1.600.000 usagers réguliers, 600.000 usagers quotidiens et multi quotidiens) ; chiffres qui font de notre pays, parmi les 28 états membres de l’union européenne, le plus gros consommateur de cannabis. Les succès suédois tiennent, non seulement à l’application stricte d’une loi plutôt rigoureuse, mais aussi, et surtout, au fait que cette loi est connue, expliquée et justifiée. La Suède consacre une quarantaine d’heures de cours, d’entretiens dirigés et de débats aux toxicomanies. Ces enseignements sont dispensés tout au long du cursus éducatif ; depuis la maternelle (où l’on apprend aux bambins à trembler à l’audition du mot drogue, comme ils tremblent chez nous à celle du mot loup), jusqu’à l’université. Dans nos IUFM (instituts universitaires de formation des maitres), ce sujet, pourtant majeur, n’a pas droit de cité.
Pour illustrer cette singularité de notre monde enseignant, une anecdote. Il y a quelques mois j’ai proposé à la présidence de l’ordre national des palmes académiques (dont j’ai le plaisir d’être commandeur), pour la très belle revue qu’elle publie, un article sur les méfaits du cannabis ; beaucoup de ses lecteurs enseignants devant être intéressés par ce sujet. J’ai essuyé alors le refus de son président, exprimant que son ordre ne devait pas prendre position dans un tel débat ! Ainsi, pour certains membres de notre éducation nationale, le cannabis n’est pas un grave problème sanitaire et sociétal, ce n’est qu’un objet de débat…
Nous n’avons pas été abasourdis par l’intensité des protestations qu’auraient dû exprimer avec force les associations de parents d’élèves, quand le ministre de l’éducation national, complètement à contre emploi, a fait des déclarations en faveur de la dépénalisation du cannabis. Les établissements d’enseignement dont il a la responsabilité sont pourtant rongés par cette drogue ; ce qui explique, au moins en partie, notre mauvaise position dans le classement mondial des performances éducatives (PISA).
- « Les politiques ont surtout le courage que leur insuffle leurs électeurs »
Le cannabis n’est ni de droite ni de gauche ; il est l’ennemi de tous nos enfants. Nous devons exiger de tous les politiques sollicitant nos suffrages, qu’ils livrent à cette drogue une lutte sans merci, pour les en préserver. Tout prosélytisme sur cette drogue doit être condamné, comme le prévoit une loi française, qu’il faut faire appliquer. Sinon, à quoi servent ceux qui sont rémunérés pour faire des lois si elles ne sont pas appliquées. L’exemplarité doit être requise, évidemment, au niveau même du gouvernement de la République. Ses membres qui ont favorisé l’extension de cette drogue doivent en être définitivement chassés. Les parents dont les malheureux enfants paient ou ont payé le prix insoutenable de la consommation de cette drogue (suicide, accident, schizophrénie, bipolarité, passage à d’autres addictions, marginalisation…) sont fondés à demander des comptes et des réparations à tous ceux et toutes celles qui ont facilité leur intoxication. Les décideurs doivent enfin être étreints par la crainte de devoir rendre des comptes sur les conséquences de leurs décisions en cette matière. C’est d’une main tremblante qu’ils devraient légiférer dans le domaine des drogues et toxicomanies, s’affranchissant de positions idéologiques et/ou démagogiques, pour ne considérer que les aspects sanitaires.
- « Argent facilement gagné, aussi facilement transformé en fumée »
L’argent de poche de nos enfants doit être dispensé avec parcimonie. Il faut rompre avec ces enchères malsaines, auxquelles se livrent les papis, mamies, oncles, tantes, parrain, marraine ; enchères menées sur le thème du « qui donne le plus ». Certes les cadeaux actuels sont de plus en plus couteux (appareil photo, téléphone, tablette numérique, ordinateur, V.T.T. …), aussi, l’argent sera collecté par les parents qui acquerront l’objet pour l’offrir et n’exposeront pas leurs ados à la détention de sommes importantes en liquide.
L’argent qui a l’odeur de l’effort, de la sueur, est géré avec rigueur, pingrerie même, et se trouve beaucoup moins volontiers distillé en gaz de shit. Si le gentil ado se fait voler son blouson de haute marque (i.e. de haut prix), de crainte que l’argent de la vente n’alimente son compte cannabis, ou pour éviter la récidive du même larcin, il devrait être remplacé par un produit très bas de gamme… « Si on te trompe une fois, c’est celui qui te trompe qui a tort ; si on te trompe deux fois…… ».
- « Forcer le mur du silence »
Alors qu’on parle tant du cannabis en dehors du foyer familial, il devra être considéré comme surprenant que ce sujet ne soit pas abordé en son sein. En parler n’est pas le faire venir, mais au contraire l’en éloigner. Les ados qui n’en parlent pas avec leurs parents peuvent avoir quelque chose à cacher, ou ne veulent pas être dérangés dans leurs convictions erronées. Il faut en parler, afin de savoir ce qu’en pense le jeune, afin de rectifier, le cas échéant, ses erreurs. Il faut lui donner des informations fiables et vérifiables. Il faut lui apprendre ou lui rappeler la loi. Il faut lui indiquer les risques, sanitaires d’abord, judiciaires ensuite, auxquels s’expose le consommateur. Il faut évoquer les mafias à qui profitent le budget énorme des drogues ; budget au service de guerres, d’attentats ou du confort insolent que certains se bâtissent sur la misère des consommateurs.
Les parents peuvent opportunément insister sur la façon très pénible dont ils vivraient le fait de devoir aller récupérer leur enfant au commissariat de police, ou encore de devoir subir, en plein jour, au vu et au su de leurs voisins, une fouille de leur domicile par la police des stupéfiants, en uniforme, avec chien renifleur de drogues…
Quand les soupçons de consommation sont très importants, il peut être glissé dans la conversation, sur un mode détaché, que « l’on a un collègue qui avait soumis son fils à un test par prélèvement buccal, ou à partir d’un échantillon d’urines à la recherche de cannabis, ce qui avait révélé qu’il consommait cette drogue ; ce constat avait aussitôt conduit à l’assèchement complet de tout argent de poche et à la suppression de toute sortie, jusqu’à ce que ces tests, désormais très fiables, soient devenus négatifs ».
- « Prendre un enfant par la main »
Des parents surmenés, pour se relaxer, se « laver la tête », dans le peu de temps libre dont ils disposent, s’adonnent à des activités dans lesquelles leurs enfants ne trouvent pas leur place (golf, trekking, tir, chasse, vol à voile, pétanque, bridge….) laissant les enfants à leurs propres loisirs, sans encadrement, avec des copains qu’on ne connait pas. Les parents doivent profiter de ces moments de liberté, pour retendre les liens, pour discuter, pour des activités communes (baignade, bicyclette, promenade, cinéma, jardinage, visites,….). Cela n’interdit pas, au contraire, d’y associer des copains de ses enfant, ni de les faire venir à la maison, ce qui permet de les connaître et, le cas échéant, de leur faire passer des messages.
L’oisiveté étant mère de tous vices », il faut s’appliquer à la combattre. L’enfant doit être très occupé, tant par son travail de classe, que par ses loisirs. Les activités rémunératrices seront encouragées. « Tu laves la voiture, tu fais ton lit, du fais les courses, tu tonds la pelouse,…. cela nous fait faire des économies dont une partie te revient ».
Il faut s’appliquer à diversifier les plaisirs, à éviter la focalisation excessive sur un objet unique d’intérêt. Il ne faut pas faire l’impasse sur le désir, sur l’attente ; il faut apprendre à supporter la frustration, encourager la construction de projet ; veiller à ce que l’adolescent ne s’ennuie pas (« je ne m’ennuie nulle part, car j’emmène partout ma tête avec moi »). Il faut l’encourager à exprimer sa singularité, à se démarquer des modes, à n’être pas un « chien de meute », développer sa capacité de résister, de refuser, de défendre son point de vue ; ce qui ne veut pas dire en faire un asocial. Il faut inciter les introvertis à s’exprimer.
La drogue est l’expression d’une fixation sur un objet unique de plaisir ; c’est le plaisir « hic et nunc » (ici et maintenant), instantanément, en tirant sur un pétard, ou en avalant un « cacheton », ou en appuyant sur le piston d’une seringue.
Le recours aux antalgiques chez l’enfant et chez l’adolescent doit être réservé aux douleurs handicapantes. La consommation de caféine (Coca Cola) doit être différée et modérée. La guerre au tabac doit être sans concession ; le cannabis est porté sur ses épaules. Quand on sait l’énorme difficulté que le fumeur de tabac a à se détacher de celui-ci, on mesure la double difficulté qu’il y aurait à devoir se débarrasser simultanément du cannabis qui, à la différence du tabac, érode la volonté et crée une humeur béate.
- « Qui ne demande rien n’obtient rien »
Il faut que les associations de parents d’élèves fassent rompre la loi du silence, l’omerta, qui prévaut en matière de toxicomanies ; il faut libérer la parole. Ces associations doivent périodiquement demander aux chefs d’établissement un état de la contamination de leurs collèges et lycées par le cannabis, les mesures qu’ils prennent pour en contrôler le trafic. Une juste appréciation pourrait être obtenue à la faveur d’une consultation pratiquée par l’infirmière scolaire (puisque les médecins scolaires sont très peu nombreux) ; elle comporterait la pesée, la mensuration, la réponse à un questionnaire de santé, l’émission d’urine pour la recherche (au moyen de bandelettes réactives) du glucose et de protéines. Ces examens étant pratiqués, le prélèvement, rendu anonyme, serait alors confié à un laboratoire d’analyses biologiques (privé ou hospitalier) afin de déterminer le nombre de prélèvement des élèves de la classe qui comportent des cannabinoïdes. Cette information serait communiquée au chef d’établissement, au médecin scolaire, à l’infirmière scolaire, aux associations de parents d’élèves. Quand la proportion des consommateurs d’une classe atteindrait des chiffres élevés (par exemple supérieurs à 10%), des actions spécifiques seraient mises en œuvre, avec information des parents, et dispensation de cours spécifiques aux enfants portant sur les aspects sanitaires de cette toxicomanie, ainsi que le rappel et la justification de la loi et des décrets régissant les toxicomanies.
Selon des modalités arrêtées par les associations de parents d’élèves, des parents, à tour de rôle, seraient présents autour des établissements, aux heures de rentrée et de sortie des élèves ; ils disposeraient d’un numéro de téléphone (police), qui leur permettrait d’avertir de trafics opérés par des dealers.
Ces associations devraient requérir que dans les cours de récréation les élèves ne soient pas laissés sans surveillance, la présence d’adultes, d’enseignants, pourrait être l’occasion de ces échanges intergénérationnels qui font si cruellement défaut, portant sur des sujets non abordés en classe.
- « Pour réaliser un collier il faut enfiler de nombreuses perles »
Les dispositions proposées ici, que ceux qui n’ont rien fait qualifieront de « mesurettes », ne font sans doute pas une politique ; néanmoins leur sommation peut n’être pas sans effet. Elles se saisissent résolument du grave problème qu’est la diffusion du cannabis chez nos jeunes ; elles installent un état d’esprit qui rompt avec l’attentisme qui a trop longtemps prévalu et qui a été le terreau du marasme présent. L’état d’esprit qui les sous tend peut être communicatif. Pour convaincre les adolescents il faut que leurs parents et tous les adultes qui ont une influence sur eux, soient eux-mêmes convaincus.
La loi réprimant l’usage du cannabis est inefficace car elle est mal connue, non expliquée, non justifiée, car elle est peu et mal appliquée et parce-que, de plus, elle est contestée par ceux-là même qui devraient la défendre. L’urgence n’est pas de la faire évoluer mais de la rendre efficace.
Pour en savoir plus et communiquer plus efficacement :
- Roger Nordmann - Désamorcer le cannabis dès l’école. Ed. Lavoisier 2006, 114p.
- H. Chabrol, M. Choquet, J. Costentin – Le cannabis et ses risques à l’adolescence. Ed. Ellipses 2006, 142p.
- Jean Costentin - Halte au cannabis. Ed. Odile Jacob, 2006, 264p.
- Denis Richard - Le cannabis et sa consommation. Ed. Armand Colin 2009, 138p.
- M. Reynaud, A. Benyamina - Addiction au cannabis. Ed. Méd.-Sci. Flammarion, 2009, 149p.
- Jean Costentin - Pourquoi il ne faut pas dépénaliser l’usage du cannabis. Ed. Odile Jacob, 2012, 267p.
- P. Mura, P. Kintz - Drogues et accidentalité. Ed. EDP Sciences, 2013, 349p.
- J. Costentin, A. Rigaud, L. Appel, I. Obradovic – Faut-il dépénaliser le cannabis ? Ed. Le muscadier, 2013, 126p.
Professeur Jean Costentin
Président du centre national de prévention d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT) *
* Le CNPERT est une association regroupant de nombreux praticiens du monde médical et pharmaceutique, des professeurs des établissements d’enseignement secondaire publics et privés, des membres de l’académie de Médecine ainsi que de l’académie de Pharmacie, des enseignants-chercheurs de l’université et du secteur hospitaliers (pharmacologues, thérapeutes, toxicologues, biologistes, cliniciens…), des personnalités de la société civile. Apolitique et aconfessionnel, le CNPERT a pour vocation de prémunir notre société des méfaits des toxicomanies et très particulièrement les plus jeunes. Sa devise s’exprime « S’il est important de se préoccuper de l’état de la planète que nous léguerons à nos enfants, il l’est encore davantage de se préoccuper de l’état des enfants que nous léguerons à cette planète ». Il communique entre ses membres, par une lettre (mensuelle) et par un blog « drogaddiction » qui, bien que récent, est déjà très largement consulté.
Familles de France a déjà publié :