15.02.2016

Adaptation au théatre par Eric Bouvron : Les Cavaliers

Je l’ai souvent dit et écrit, je dois beaucoup à Joseph Kessel, à commencer par les magnifiques heures de lectures qu’il m’a offertes. Mais je sais que plusieurs fois dans mes choix professionnels et humains, il était là à mes côtés et que probablement son œuvre fut pour plus qu’une simple littérature…

Mais, j’avoue que lorsque j’ai appris qu’Eric Bouvron adaptait au théâtre le roman Les cavaliers j’ai ressenti comme un doute. Comment ce roman extraordinaire allait-il pouvoir tenir sur une scène de théâtre ? Quoi, des chevaux, des montagnes, des grandes étendues de nature et d’hostilité, le tout dans la salle du théâtre La Bruyère de Paris ! Inimaginable ! Non ?

J’y suis donc allé avec une réserve et une grande curiosité malgré tout avec la certitude, quand même, de retrouver l’espace d’une soirée mon ami Joseph…Ma réserve est tombée en quelques toute petites minutes, peut-être même avant le véritable départ de la pièce car l’ambiance de la scène, de son décor et le fond musical m’avaient déjà déposé au cœur de l’Afghanistan avant l’entrée sur scène des acteurs… Oui, le tour de passe-passe était réussi et le cheval Jehol bien là… Dès le début du récit du tournoi unique et fascinant, le Bouzkachi du roi, on cavalcade avec Ouroz, on vibre avec le public et Mokkhi, on est à Kaboul pour un voyage étonnant…

On passe une magnifique soirée avec un théâtre comme je les aime : complet, physique, musical, sensuel, profond, humain… Complet, car ce n’est pas là qu’une affaire de texte et, pourtant, vous l’avez bien compris, j’aime le texte de Kessel qui signait là un de ses plus beaux ouvrages. Physique car la performance des acteurs est bien réelle et il faut une bonne condition physique pour monter durant plus d’une heure un cheval comme Jehol. Musical car Kalid K va jouer en live la bande son. Il joue aussi l’acteur car sa présence est bien plus qu’un musicien d’accompagnement et il m’a touché au plus profond de mon être. Sensuel car la relation entre le père et son fils, le maitre et son serviteur, Mokkhi et la femme, le cavalier et son cheval, tout est symphonie sensuelle comme seul l’Orient lointain sait le provoquer… Bouleversant ! Enfin, profond et humain, comme tout le travail de Kessel, parfaitement adapté à la scène, et le spectateur s’identifie à ces personnages et travaille sur sa propre existence, mesure sa vie, tente de comprendre les liens avec son père, avec la gloire, touche la fragilité de la vie, se découvre des espérances, prend des résolutions, décident de changer de vie… et repart galopant avec Jehol qu’il a subtilisé discrètement à l’équipe du théâtre qui n’aura plus que ses yeux pour pleurer… à moins de faire naitre tous les soir, comme par magie, un nouveau Jehol.. Allez savoir ! C’est peut-être cela faire du bon théâtre…

Merci Kessel, merci Eric Bouvron pour cette audace et il en fallait pour s’attaquer à ce roman, merci et bravo à toute cette belle équipe d’acteurs et j’espère que beaucoup de spectateurs oserons faire ce beau voyage en Afghanistan !