Quels éléments peuvent faire craindre une consommation de cannabis chez un adolescent (séméiologie du cannabisme) ; conduite à tenir
Un long préambule est nécessaire avant d’aborder, auprès des parents, les aspects que peuvent revêtir, chez leurs adolescents, la consommation de cannabis
Le cannabis est extrêmement présent dans la société française ; aucun milieu social, aucune région ne sont épargnés par ce fléau. On estime à plus de 100.000 le nombre des dealers de cette drogue, dont la résine (le haschisch / shit) est beaucoup plus diffusée, que les éléments végétaux (fragments de feuilles, de rameaux, de fleurs femelles), la marijuana / herbe / beuh. L’importance de cette dernière forme progresse avec l’autoculture, dans les champs, les jardins, au sein de bâtiments ou de placards aménagés, ou de salles de bain. La France a vu, au cours des 10 dernières années, se multiplier l’ouverture de « grow shops », boutiques à l’enseigne de THC, qu’il ne faudrait pas traduire par « TétraHydroCannabinol » (le principe psychotrope toxicomanogène du cannabis) mais par « Tout pour l’Horticulture Contrôlée ». Ces boutiques vendent tout le matériel nécessaire à une culture optimisée du chanvre indien, en appartements (lampes à vapeur de sodium, thermostat, hygromètres, cycleurs de lumière jour/nuit ; des bacs et des billes de polystyrène pour une culture hydroponique (sans la terre qui pourrait salir la moquette), des concentrés de liquides nutritifs…), tandis que des graines issues de sélections génétiques et de manipulations génétiques, à l’origine de plantes très riches en THC, peuvent être commandées sur le NET et livrées à domicile par la poste. Les pipes à eau (chicha/ chilom / bang / bong) sont, non seulement en vente libre, mais de plus outrageusement exposées dans les vitrines. Enfin les vapoteurs / e-cigarettes / cigarettes électroniques commencent à être détournées de leur dispensation de nicotine, pour celle de THC. On estime à 10.000 individus, en France, le nombre des cannabiculteurs et autres cultivateurs du chanvre en chambre (consommateurs et pour partie revendeurs). Ainsi les sollicitations sont multiples et l’on ne voit pas pourquoi chacun de nos adolescents ne viendrait pas à croiser un de ces canaux de distribution. On estime à 200 tonnes la masse de cannabis qui circule en France, un quart seulement (50 tonnes) étant saisi chaque année par les douanes et la police. Le trafic sévit dans les citées « sensibles », mais c’est dans les beaux quartiers, là où est « le blé » que les dealers viennent picorer. Au total, nul ne peut estimer que ses adolescents sont à l’abri de cette drogue, aussi, aucun parent ne doit faire, par paresse, l’impasse d’une interrogation à ce sujet.
Ceci étant posé, il convient aussitôt de préciser que la suspicion ne saurait s’ériger en un mode éducatif. Un rapport de confiance doit prévaloir a priori. L’éducation n’est ni un rapport de force, ni un « flicage ». Cependant, la confiance ne doit être ni aveugle, ni négligente, ni angélique. Une curiosité bien gérée est une preuve de l’affection et de l’attention que l’on porte à son enfant. La communication, les échanges sont des éléments très importants. Ils permettent d’exprimer son point de vue, ses recommandations, de recevoir les contradictions, d’apprécier la désinformation qui prévaut largement sur le thème des toxicomanies et de s’appliquer à rétablir la vérité malmenée. Cela ne doit pas confiner à un interrogatoire. Le « taiseux » a souvent quelque chose à cacher, ou des raisons de ne pas s’exprimer. Il faut combattre son mutisme, le langage est une soupape qu’il ne faut pas se priver de faire fonctionner. Il faut savoir y discerner un appel à l’aide.
Les amis occupent une place considérable dans la vie des adolescents, accrue par les téléphones et S.M.S. Les parents doivent s’attacher à connaître les amis de leurs enfants (ainsi d’ailleurs que leurs parents), afin de prévenir des dérives qu’ils ont pu entrevoir chez certains d’entre eux. Ils doivent, quand c’est possible, les accueillir à domicile pour les tester discrètement, les emmener le cas échéant en vacances, en ballade, en week-end quand le fils unique risque de se retrouver bien seul parmi « des vieux ».
L’argent de poche doit être dispensé de façon parcimonieuse. Nous avons déjà dit « argent facilement gagné encore plus facilement parti en fumées ».
Il n’est pas inutile de laisser à la vue quelques livres et revues traitant sérieusement des toxicomanies…
Evoquons maintenant les manifestations possibles d’une consommation de cannabis. Soulignons qu’aucune d’elles n’est pathognomonique et ne peut constituer la preuve d’une telle consommation. Au mieux peuvent-elles inciter à être plus attentif. C’est d’une façon très synoptique, énumérative, que nous allons en traiter.
-Le niveau des notes au collège, au lycée, se met à plonger dans plusieurs matières simultanément. Les appréciations des professeurs soulignent le manque d’attention, l’esprit absent, la prise de distance, le retrait, le « manque de participation », « rêveur », « absent ».
- Alors qu’il était assidu, il a des absences en classe dont les explications sont peu plausibles ; il était ponctuel et ses retards se multiplient ;
- Le désintérêt le gagne, plus grand-chose ne semble l’intéresser ; il devient oisif ;
- Il écoute en boucle, sa « musique de fou», avec son walkman, qui le coupe de l’extérieur;
- La coquetterie l’abandonne ; finies les longues stations devant la glace de la salle de bains, le peigne à la main ;
- Il néglige des objets qui mobilisaient ses soins (le pneu arrière de sa bicyclette est presque à plat, la sacoche décrochée…) ;
- Il mange comme un goinfre entre les repas et, sa dépense physique s’étant réduite, il grossit ;
- Craignant que son haleine trahisse sa consommation de cannabis, il prend de plus en plus de recul quand il parle à un vis à vis (on ne dira plus un proche) ;
- Dans le cours de la conversation il passe du coq à l’âne ; il cherche ses mots ; il perd le cours de sa pensée ; des séquences muettes émaillent son discours ;
- Il « perd » des vêtements de prix ou prétend se les être fait « voler » (ce qui amène à penser qu’en fait il les revend pour acquérir sa drogue) ;
- Son économie domestique s’est profondément transformée ; il n’achète plus son CD mensuel non plus que sa revue hebdomadaire. L’argent de poche file à vive allure, et le porte monnaie maternel parait, lui aussi, sollicité ;
- Il s’est doté d’une boite pour rouler les cigarettes, ou d’une pipe à eau « pour la décoration »
- Mais que peut-il donc faire avec cette vieille râpe pour tabac à priser ? (outil qui peut être utilisé pour égrener la résine de cannabis/haschich/shit, avant son mélange au tabac ;
- Alors qu’il était si frileux, on sent maintenant, le soir, passer un souffle d’air frais sous la porte de sa chambre, comme s’il avait laissé sa fenêtre ouverte ; (pour évacuer la fumée émise par son dernier joint de la journée) ;
- Quand il rentre au domicile, ses yeux sont rouges, comme s’il avait pleuré (effet dilatateur du cannabis sur les capillaires de la cornée) ; et pour la maman qui le dévisage souvent, ses paupières sont plus lourdes et ses yeux moins mobiles ;
- Il se désintéresse de ses cours, me fait plus ses devoirs ; il est très évasif quand on l’interroge sur les divers enseignements et ceux qui le dispensent.
- Il téléphone fréquemment à de nouveaux amis ; il a rompu avec les anciens ; (« qui se ressemble s’assemble », en de petites communautés d’achat et de consommation…) ;
- Il s’absente fréquemment, sans raison ;
- Ses thèmes de discussions se sont notablement appauvris (« arrêtes, tu me prends la tête ! » ;
- Il s’emporte pour des broutilles, quitte la table à la moindre remarque ou frustration ; il ne supporte pas de devoir rendre compte de ses occupations extérieures, qui ne laissent aucune trace ;
- Il tousse ; il boit souvent de l’eau car il a la bouche sèche…
Quand la réunion d’un certain nombre des signes que l’on vient d’énumérer, devient patente, la maman se fait alors plus investigatrice. En se livrant à l’exploration d’un tiroir peu accessible au bas de l’armoire, ou quand elle ouvre une boite cachée derrière la corniche de ce meuble, elle découvre des sachets remplis d’une espèce de tisane, ou bien, sous une enveloppe de cellophane ou de papier d’aluminium, elle trouve ce qui ressemble à des savonnettes, ou à des tablettes de chocolat, mais elles n’en ont ni l’odeur ni la saveur…. Aux fins d’identification, la maman pourra, s’agissant de la « tisane », s’adresser au pharmacien de son quartier ; à l’œil nu ou en s’aidant d’une loupe, il reconnaitra le bord crénelé caractéristique de la feuille de chanvre, ou l’aspect en chou fleur, de l’inflorescence femelle de cette plante. Quant à la « savonnette » ou à la « tablette de chocolat », c’est au laboratoire de biologie médicale qu’elle devra s’adresser. Après en avoir dissous un fragment dans de l’alcool concentré, le biologiste en dépose une goutte dans l’orifice d’un petit boitier. En moins d’une minute une croix se colore : en rouge si la solution contient un cannabinoïde, ou en bleu si la solution n’en comporte pas.
Ces examens permettent d’affirmer que le rejeton, à l’évidence, possède et sans doute consomme du cannabis. Comment alors aborder ce sujet, soigneusement occulté dans les échanges familiaux.
Il serait inopportun de se référer à cette fouille qui a fourni les éléments de la preuve. L’indignation serait un prétexte pour un clash, un départ en claquant la porte pour fuir le débat, car il faut parler, lui en parler, le faire parler. Un seul interlocuteur, papa ou maman, celui ou celle des deux qui pourra aller au bout du débat sans se fâcher, sans hausser le ton, en prenant tout le temps qu’il faut (pas entre deux portes, avec un train à prendre….).
- La Maman : « Jacques, mon grand, ton père et moi sommes inquiets pour toi et donc pour nous tous. Tu présentes tous les signes d’un consommateur de drogues. Tu sais ce que nous pensons du tabac, auquel tu t’adonnes malgré nos mises en garde ; mais maintenant nous avons plein de raisons de penser que tu es bien au-delà de cette intoxication ».
- Jacques : « Mais c’est quoi ces fameuses raisons » ?
- La maman : « tu ne fais plus rien au Lycée, tes notes s’écroulent, ta seconde est fichue, tu es devenu négligent, tu deviens bête, rien ne t’intéresse, tu ris sans raison et t’énerves pour des riens, tu es fuyant, secret ; tes nouveaux amis ne nous plaisent pas du tout ; ils sont pires que toi et constituent de très mauvais exemples ; on ne peut plus avoir de discussion intéressante avec toi, tu dépenses sans compter, mais on ne voit rien de ce que tu achètes ; tu t’isoles, tu es toujours en retard ; tu tousses, même ton regard n’est plus le même ;
- Jacques : « Et alors » ?
- La maman : « Tout cela nous donne à penser que tu te drogues avec du cannabis ; cela reproduit tout ce que papa et moi avons lu sur cette saleté de drogue ».
Alors deux scénarii peuvent intervenir :
Premier scénario, le moins fréquent,
- Jacques : « Oui, et alors ? Comme tout le monde, comme tous les gars de la classe, y-a pas de quoi en faire tout un drame ! ».
Ouf ! Il a avoué, aussi le débat peut se poursuivre. La maman va s’inquiéter de la durée de cette consommation ; s’enquérir de son importance. Le débat pourra porter alors : sur les dangers physiques et plus encore psychiques de cette drogue ; sur les risques judiciaires encourus ; sur l’inévitable augmentation des doses ; de l’ascension sur l’échelle des toxicomanies vers les drogues les plus détériorantes ; sur les échecs de toutes natures, sur la marginalisation… Chacune de ces assertions sera évidemment contestée, imposant de se référer aux études qui valident chacune d’elles (que l’on promet de fournir à l’issue de cet entretien)
Deuxième scénario, beaucoup plus commun, la dénégation, la recherche du clash pour interrompre l’échange, le départ en claquant la porte après avoir lancé un retentissant « N’importe quoi ! ». C’est ce qu’il faut s’appliquer à éviter.
- La maman : « Non seulement ta réponse ne me convainc pas, mais je ressens péniblement que tu me mens. Il existe des moyens de trancher entre nos deux positions ; c’est indispensable qu’on le fasse, pour que nous puissions continuer à te faire confiance, pour continuer à te donner de l’argent de poche, en étant assuré qu’il ne sert pas à ton intoxication ; pour que nous te laissions sortir avec ces amis, dont je t’ai dis déjà que je ne les appréciais pas du tout.
- Jacques : « Ah oui, c’est quoi ces moyens ? »
- La maman : « Tu feras pipi dans un petit récipient en plastic, que j’amènerais au laboratoire d’analyses médicales, qui pourra déterminer si tu as consommé du cannabis au cours des jours précédant cet examen. Refuser ce test, ce serait avouer ta consommation ; alors finis l’argent de poche, tes sorties libres, la fréquentation de tes copains, la liberté qui t’est accordée ; tant que tu n’acceptes pas de nous prouver, par cet examen, que tu ne consommes pas ou ne consommes plus cette drogue.
Je t’en prie, Jacques, pour ton bien, pour ton avenir, pour nous tous qui t’aimons, dis moi ce qu’il en est, afin que l’on puisse t’aider à sortir du mauvais pas de cette intoxication. Plus tu avanceras dans cette mauvaise direction, plus le chemin se rétrécira et plus il te sera difficile de faire demi-tour ; Cesses de croire tes copains consommateurs qui te disent que c’est sans dommage. Ce qu’ils font de bien, si ça leur arrive, ils le font seuls ; mais ce qu’ils font de mal, ils ont besoin de le faire à plusieurs. Change vite de copains, reprends toi, nous qui t’aimons sommes résolus à t’aider »
Pour conclure, rappelons qu’on ne dispose actuellement d’aucun traitement médicamenteux permettant d’aider au sevrage du cannabis. L’affaiblissement de la volonté, effet caractéristique de cette drogue, rend plus difficile ce sevrage. On pourra utilement s’aider d’un changement d’environnement, de vacances très occupées/actives, à distance de toute source d’approvisionnement, d’une durée de l’ordre du mois, avec des copains « cleans ». Un avis médical sera utile à la recherche d’un trouble anxieux, dépressif ou pré-schizophrénique. « Ce n’est pas facile d’avoir 16 ans » (disait aux parents un de mes professeurs de pédiatrie) mais, l’adolescence est un état précaire dont la connivence avec le cannabis ne laisse rien présager de bon… (en paraphrasant le docteur Knock de Jules Romain).
Professeur Jean Costentin
Président du centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT)
Familles de France a déjà publié :